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Le Recueil Factice
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La bibliothèque tripartite : repenser les espaces de collections

Nicolas Beudon
La bibliothéconomie peut être une discipline un peu provinciale. Il arrive que des bonnes pratiques ou des concepts peinent à circuler d’une aire linguistique à l’autre. La notion de bibliothèque tripartite (en allemand "die Dreigliedrige Bibliothek") en est une bonne illustration : forgée en 1976, je suis prêt à parier que vous n’en avez jamais entendu parler. Elle est pourtant pertinente aujourd’hui encore pour repenser les espaces de collections en bibliothèque.

La bibliothèque tripartite

La notion de bibliothèque tripartite a été décrite par Heinz Emunds dans un article rédigé en 1976, alors qu’il était directeur de la bibliothèque municipale de Münster, en Allemagne (Die dreigeteilte Bibliothek. Nah-, Mittel- und Fernbereich in der strikt benutzerorientierten Bestand-Präsentation ; Erfahrungen aus Münster. Buch und Bibliothek, 28, 1976). Elle a été mise en pratique dans cet établissement, puis en 1984 dans la nouvelle bibliothèque municipale de Gütersloh, située une cinquantaine de kilomètres plus loin.

Emunds part du principe qu’un usager qui se rend en bibliothèque peut avoir 3 motivations principales : 1) il peut être à la recherche d’un titre précis, 2) il peut souhaiter approfondir un sujet, ou 3) bien il peut avoir des intentions plus vagues (découvrir des nouveautés, se renseigner sur l’actualité, etc.). Une bibliothèque tripartite est segmentée en trois zones visant à répondre à chacun de ces usages :

  • La zone éloignée s’adresse aux usagers qui cherchent une référence précise, potentiellement ancienne, en tout cas déconnectée de l’actualité immédiate. Ce type de document est stocké dans des magasins qui ne sont pas accessibles au public.
  • La zone intermédiaire s’adresse aux usagers qui souhaitent explorer un sujet à l’aide d’une documentation récente, sans être fixés sur une référence précise. Ces collections sont en libre accès, classées de façon encyclopédique  et désherbées très fréquemment pour rester à jour.
  • La zone proximale enfin, est définie par défaut par rapport aux deux autres : elle s’adresse aux usagers ayant une motivation vague qui ne correspond ni à un titre, ni à un auteur, ni à un sujet précis. Pour Emunds, cette zone doit être organisée de façon « flottante ». On y trouve des documents divers (y compris des prospectus) en rotation permanente. Ces collections ne sont pas classées de façon stricte et figée, mais en fonction de thèmes généraux eux-mêmes changeants. La zone proximale est localisée de préférence près de l’entrée, d’où son nom.

Le concept de bibliothèque tripartite dans les années 70-80

En 1976, la réflexion d’Emunds est tout à fait dans l’air du temps : les bibliothèques publiques d’Europe occidentale sont alors en pleine période de modernisation et elles cherchent souvent à réinvente. En France, c’est à cette époque que prend forme le concept de « médiathèque » qui va constituer l’archétype de la bibliothèque publique pendant plus de 30 ans. La Bibliothèque publique d’information, étendard de ce nouveau modèle, ouvre en 1977, 1 an après la publication de l’article d’Emunds. On peut reconnaitre dans le projet très original de la Bpi certains partis pris qui rappellent la bibliothèque tripartite.

En effet, si la Bpi est dépourvue de magasins (donc de « zone éloignée »), elle dispose en revanche d’une « zone intermédiaire » avec des collections en libre accès à une échelle encore jamais vue, ce qui implique (comme le préconise Emunds) un désherbage bien plus systématique qu’autrefois (le désherbage est une pratique que la Bpi va largement contribuer à généraliser en France).

La salle d’actualité de la Bpi (qui a fermé en 1997, après plusieurs remaniements) constitue une interprétation intéressante du concept de zone proximale : dotée d’une surface de 600m2, elle n’accueille aucune collection permanente mais des expositions, des journaux, des disques en écoute sur place et des ouvrages fournis en service de presse par les éditeurs pour une durée de 9 mois. C’est une « galerie permanente de l’édition française », une « librairie-galerie où on ne vend pas » placée sous le signe de « l’actualité, l’information rapide, la détente » (M. Poulain, « Douceurs et métamorphoses des rencontres : la Salle d’actualité de la BPI et ses usagers », BBF, 1986, n° 4).

Revenons en Allemagne. Dans les années 80, la bibliothèque tripartite rencontre beaucoup d’échos favorables dans les cercles professionnels allemands et au-delà, en Suisse alémanique, en Europe centrale, en Italie et chez certains scandinaves. Pour l’architecte d’origine italienne Luigi Failla, le « modèle à 3 niveaux » dont il attribue la paternité à Emunds, est même, bien qu’il ne soit jamais mentionné, le principe qui domine l’architecture des bibliothèques françaises au cours de la période 1980-2000 (ces trois niveaux, souvent matérialisés dans les volumes principaux du bâtiment, sont typiquement : un premier espace vitrine comportant la presse et les zones d’animation, un deuxième espace avec des collections en libre accès, et un troisième espace avec une salle d’étude et des réserves).

Pour Luigi Failla, l’idée des 3 niveaux constitue le principe dominant de conception des médiathèques dans les années 80 à 2000 (image issue d’un diaporama de L. Failla)

Les idées d’Emunds sont aussi souvent jugées nébuleuses, en particulier son idée la plus originale, le « troisième intérêt » correspondant à la « zone proximale ». Le flou concernant cette notion, ainsi que la barrière de la langue, expliquent pourquoi on n’a jamais entendu parler de bibliothèque tripartite en France. Luigi Faila est à ma connaissance le seul à l’avoir évoquée en français dans son ouvrage intitulé Du Livre à la ville, publié en 2017. C’est dommage, car il ne s’agit pas simplement d’une curiosité bibliothéconomique dépassée : selon moi, la philosophie sous-jacente est encore pertinente aujourd’hui et elle peut donner lieu à des applications très concrètes.

Le concept de bibliothèque tripartite aujourd’hui

Que peut-on retenir des idées d’Emunds de nos jours ? De toute évidence, elles sont désormais datée par certains aspects. Pour Emunds, les bibliothèques sont presque exclusivement des lieux de documentation par exemple : ses 3 zones parlent uniquement de livres. On est bien loin de la notion contemporaine de tiers-lieux. Sur le plan architectural, L. Failla observe que le modèle à 3 niveaux cède de plus en plus la place à des modèles à 2 niveaux ou à plateau unique, sans hiérarchie ou séquence explicite entre espaces.

Néanmoins, certains traits de la philosophie d’Emunds gardent selon moi leur pertinence. Le plus intéressant à mes yeux ne réside pas tant dans les trois zones qu’il décrit, mais plutôt dans les deux partis pris suivants :

1) Segmenter l’espace en fonction des usages

Bien avant que l’on commence à utiliser la notion d’UX en bibliothèque, Emunds parle de bibliothèque « centrée sur l’usager » (« Benutzerorientierte »). Le concept de bibliothèque tripartite consiste à segmenter l’espace en fonction des usages du public, plutôt qu’en fonction des contenus ou des types de supports, ce qui est extrêmement actuel.

2) Différencier les espaces de collections

En règle générale cependant, les collections ne sont pas concernées par ce zonage. Les documents peuvent évidemment être répartis dans des secteurs différents, mais ces secteurs ont tous, peu ou prou, la même forme : le mobilier est identique et les collections sont organisées de la même façon. L’originalité d’Emunds est d’imaginer des espaces de collections avec des modes de classement, de présentation et de stockage différents en fonction des usages ciblés.

En creusant cette idée, on peut aboutir à des principes d’aménagement intérieur originaux. Je vais présenter dans la suite de ce billet deux stratégies de ce type que j’affectionne particulièrement :

  • les alcôve thématiques qui consistent à appliquer le principe du zonage tripartite à l’échelle d’une petite zone,
  • les marchés (« marketplaces » en anglais) qui permettent de donner une forme tangible à la zone proximale.

Les alcôves thématiques

Le principe des alcôves thématiques est extrêmement répandu dans des lieux commerciaux tels que les grands magasins, les grandes surfaces culturelles (type Fnac ou Cultura) et les grandes enseignes de librairie indépendante (type Furet du Nord ou Decitre).

Dans le monde du commerce, on utilise parfois le terme « shop in shop » (« magasin dans le magasin ») pour désigner ce type d’aménagement. Pensez par exemple aux « corners » dédiés à différentes marques dans les grands magasins type Galeries Lafayette. Dans une grande surface culturelle ou en librairie, ces alcôves correspondront à des genres ou à des thématiques : polars, vie pratique, histoire, etc.

Un exemple d’alcôve thématique à la FNAC des halles, à Paris.

Si l’on observe de plus près une alcôve thématique, on peut distinguer trois zones distinctes, similaires à celles d’Emunds :

  • A l’entrée de l’alcôve, au plus près de l’allée principale du magasin, une première zone fréquemment renouvelée a vocation à capter l’attention des flâneurs avec du mobilier de présentation léger. Il peut s’agir de têtes de gondoles, de présentoirs bas ou mobiles, ou même de PLV en carton, qui accueillent un nombre limité de documents en facing.
  • Au centre de l’alcôve, on trouve typiquement du mobilier plus massif avec des documents en plus grand nombre mais qui restent présentés de face, sans classement strict (il s’agit habituellement de promotions, de nouveautés, de coups de cœur ou de sélections en lien avec l’actualité). Cette deuxième zone s’adresse aux curieux qui souhaitent explorer l’actualité d’un secteur éditorial, sans avoir en tête une référence précise.
  • A la périphérie de l’alcôve enfin, on trouve des rayonnages muraux, denses et hauts, où les documents sont stockés de dos de façon classique. Le classement alphabétique et/ou thématique est bien plus précis que dans le reste de l’alcôve. Ces rayonnages accueillent des ouvrages de fonds qui continuent d’être proposés mêmes lorsqu’ils ne font plus l’actualité. Cette dernière zone s’adresse surtout aux clients qui savent ce qu’ils veulent, qui ont un besoin pointu, qui cherchent une référence précise.

L’implantation en alcôve permet de créer un espace dynamique s’adressant à la fois aux curieux (zone 1), aux flâneurs (zone 2), et aux personnes cherchant une référence précise (zone 3)

Un exemple d’implantation en alcôve dans la librairie Thalia de Hagen (Allemagne). Cette stratégie permet de créer un vaste plateau panoramique, sur lequel sont réparties de nombreuses tables de présentation, et un camaïeu d’univers thématiques.

Dans les bibliothèques françaises, l’implantation en alcôves est très atypique. On voit bien de temps en temps des rayonnages disposés en U, mais sans que cela soit systématisé. En revanche, c’est quelque chose de très répandu aux Pays-Bas, dans des bibliothèque de toutes tailles.

Un exemple d’implantation en alcôves thématiques dans une bibliothèque néerlandaise, à Coevorden.

L’implantation en alcôves présente 4 intérêts principaux en bibliothèque :

1) D’abord, elle rend votre plan de classement plus facile à comprendre car fait correspondre exactement une thématique et un espace physique. La signalétique, positionnée de façon frontale, au dessus de l’alcôve ou des rayonnages, est généralement très voyante. L’espace est plus lisible car il peut être balayé d’un seul coup d’œil.

2) Des alcôves permettent également de créer des zones ouvertes qui incitent à l’exploration. Au contraire, l’implantation traditionnelle en grille ou en épis (la plus répandue en bibliothèque) implique un usage utilitaire des collections : une fois venu chercher le document qui nous intéresse, rien n’est là pour nous retenir, attirer notre attention, nous encourager à aller plus loin.

Dans une implantation en épis, l’espace est très segmenté : rien dans l’environnement n’encourage l’exploration. Ce type d’aménagement n’est pas à exclure absolument, mais implanter les collections uniquement de cette façon ne contribue pas à les rendre attractives, stimulantes et inspirantes…

3) L’implantation en alcôves, conformément à la philosophie d’Emunds, permet de présenter les collections d’un façon attractive pour différents profils d’usagers : pour les flâneurs qui n’ont pas de but précis, pour les curieux avides de découvertes, et pour les usagers qui cherchent des références précises. Les bibliothèques traditionnelles sont principalement pensées pour la troisième catégorie d’usagers… mais ils sont minoritaires dans les bibliothèques publiques. Des enquêtes réalisées aux États-Unis et aux Pays-Bas nous apprennent en effet que 70% à 80% des emprunteurs se rendent en bibliothèque sans avoir de document précis en tête (source 1, source 2). Je ne dispose pas d’un chiffre aussi précis concernant la France mais de façon purement empirique, je fais régulièrement le même constat sur le terrain. L’implantation en alcôve, inspirée des lieux de « shopping », permet de créer des espaces plus ergonomiques pour ce vaste public composé de butineurs auxquels il faut avant tout permettre de déambuler et de faire des découvertes en cheminant, sans passer par le détour d’un catalogue ou d’une cote.

Un exemple d’implantation en alcôve dans la librairie Thalia de Hagen (Allemagne). Cette stratégie permet de créer un vaste plateau panoramique, sur lequel sont réparties de nombreuses tables de présentation, et un camaïeu d’univers thématiques.

Si l’implantation en alcôves vous intéresse, notez qu’elle présente deux contraintes importantes :

1) En premier lieu, votre bâtiment doit idéalement comporter des murs permettant d’y adosser des rayonnages. Or, beaucoup d’architectes français se plaisent à concevoir des bibliothèques en forme de grandes boîtes vitrées.

2) Deuxième point à anticiper : la capacité de stockage d’une zone en alcôve est typiquement 30% inférieure à celle d’une zone en épis. Notez cependant que les collections qui seront plus visibles auront également un taux de rotation plus élevé : dans les bibliothèques néerlandaises qui passent à ce type d’implantation, on constate généralement une augmentation de 20 à 30% des prêts (source). Vous aurez donc moins de rayonnages, certes, mais aussi plus de place libérée par les prêts.

Si vous ne pouvez pas agencer toute votre bibliothèque de cette façon, il est tout à fait possible d’appliquer ce concept de façon localisée, comme nous l’avons fait dans la médiathèque du Grand Narbonne.

Image 1 : une zone de la médiathèque du grand Narbonne actuellement implantée en épis, qui présente un problème de visibilité des collections et d’occultation des espaces. Image 2 : la nouvelle implantation en alcôve, incluant également la suppression de certains éléments de maçonnerie, afin de créer un espace plus ouvert et attractif

Les marketplaces

J’en arrive maintenant au deuxième type d’espace que je souhaite vous présenter : les « marketplaces » (soit en français, les « marchés » ou « places de marché »). Le concept est simple : une zone assez vaste (représentation 5 à 10% des espaces de la bibliothèque où l’on retrouve uniquement des sélections thématique, avec une majorité de documents présentés de face, et généralement pas de rayonnages classiques. Pourquoi un mot anglais ? Parce que la bibliothèque de San Jose en Californie semble être la première à avoir mis en place un marketplace en 1994.

Le marketplace est une notion polymorphe, sans mode d’emploi officiel, que chaque établissement s’approprie à sa manière. Les catégories peuvent être permanentes ou tournantes, les nouveautés peuvent être inclues ou exclues, des principes de gestion spécifiques s’appliquent parfois (par exemple : pas de réservations possibles pour ces documents). Dans tous les cas, l’idée est de créer une « bibliothèque dans la bibliothèque » qui ressemble dans son agencement à une petite librairie. En dehors des pays anglophones, on retrouve également le principe du marketplace en Europe : aux Pays-Bas par exemple on les appelle des « Markten ».

Les marketplaces mis en place dans le réseau des bibliothèques d’Ipswich en Australie.

Un aperçu du marketplace d’Arlington Heights Memorial (Illinois).

Des marketplaces installés dans les bibliothèques de Tilburg et de Ter Apel aux Pays-Bas.


En France, la médiathèque Françoise Sagan à Paris dispose d’une « salle d’actualité » dont le principe rappelle celui du marketplace, mais il s’inscrit en fait dans une philosophie diamétralement opposée.
Dans cette zone, les bibliothécaires proposent tous les 2 à 4 mois des sélections de documents sur des thématiques également illustrées à travers de la décoration, des objets et des documents exposés en vitrine (voir un exemple en vidéo ici).

Comme souvent en matière de valorisation des collections, les bibliothécaires français conçoivent leurs sélections comme des mini-expositions ou des bibliographies mises en espaces. Ce parti pris peut constituer un frein à l’emprunt des documents : si les usagers ont le sentiment que ces derniers sont « exposés », ils risquent de ne pas oser les emprunter, pour ne pas dénaturer la cohérence de la sélection.

Les marketplaces ne sont pas principalement orientés vers la curation : ce sont avant tout des accélérateurs de découverte. Ils nécessitent beaucoup moins de travail en amont par rapport à ce que font les bibliothécaires parisiens, mais beaucoup plus de gestion quotidienne (réassort). Les thématiques retenues sur les marchés sont généralement très simples (« nouveautés », « coups de cœur », « actu », « meilleures ventes en librairie »…). On parle bien de « marchés » et pas de « vitrines » et encore moins « d’expo ». Cette nuance est importante : il est inconcevable qu’un document reste 4 mois sur un marketplace sans être emprunté par un usager ou enlevé par un bibliothécaire.

Les marketplaces ont toujours des taux de rotation très importants. C’est l’espace rêvé pour les indécis, les butineurs et les gens pressés. A Arlington Heights Memorial, après huit mois d’expérience, le marketplace représentait 7,5 % du fonds adultes mais 25 % des prêts. Ce bon résultat n’est pas lié uniquement à la fraicheur des documents : les ressources du marketplace sont 20% plus empruntées que dans l’ancienne zone « nouveautés ». A Ipswich central, 70 % du marketplace est sorti en permanence. Les documents sont empruntés en moyenne 14 fois par an, contre 4,5 fois dans le reste de la bibliothèque (source).

En bref, les marketplace sont des zones qui se distinguent des espaces de collection plus classiques par les caractéristiques suivantes :

1) des sélections de documents en flux permanent,
2) un classement très simple, avec quelques catégories faciles à réalimenter,
3) des taux d’emprunt importants,
4) du mobilier spécifique, différent des rayonnages traditionnels,
5) une présentation des documents principalement de face,
6) une surface relativement grande (au minimum 5% des espaces publics)
7) Un public cible : les indécis, les butineurs, les gens pressés

La bibliothèque d’Herning au Danemark a d’une certaine manière poussé le concept de marketplace à l’extrême. Le bâtiment comporte deux étages qui fonctionnent de façons très différentes :

  • Le rez-de-chaussée peut être considéré comme un immense marketplace : sur une surface de 2000m2, on trouve principalement des assises confortables, des écrans d’information, et des présentoirs de toutes sortes qui accueillent 10% des collections réparties sur une dizaine de spots de valorisation. Les bibliothécaires font du réassort tous les jours et les thématiques sont renouvelées tous les 15 jours.
  • Le sous-sol, baptisé « Dybet » (« les profondeurs ») est un lieu beaucoup plus austère. On y trouve 90% des collections, soit 450 000 documents, installés sur des rayonnages en acier implantés en épis sur une surface de 2500m2.

Un aperçu du rez-de-chaussée de la bibliothèque d’Herning

Un aperçu du sous-sol de la bibliothèque d’Herning

L’exemple d’Herning est radical. Un marketplace « classique » est beaucoup plus simple à mettre en place. Vous avez probablement déjà l’habitude de mettre des documents en avant sur des tables ou des présentoirs. Tout ce que vous avez à faire, c’est dégager un espace assez vaste où vous allez centraliser tous ces dispositifs pour augmenter leur impact. Si vos espaces publics font 500m2, dégagez 20 à 30m2, si vous disposez de 1000m2 ou plus, tablez au minimum sur 50m2.

Au-delà de l’espace, il faut évidemment une organisation adéquate afin d’effectuer un réassort régulier. N’oubliez pas que le marketplace est une stratégie basée sur le flux, qui vise à augmenter les prêts : les thématiques ou les catégories doivent être simples et larges, faciles à constituer et à réalimenter.

L’illustration suivante, extraite d’une présentation de Matt Pascoe (responsable de l’expérience utilisateur dans les bibliothèques d’Ipswich), indique pour chaque catégorie du marketplace le nombre de documents en rayon et le nombre de documents empruntés (source).

Ce schéma permet également de constater que les catégories mises en place sont très simples, on distingue ainsi :

  • quelques genres littéraires (polars, fantasy, SF…),
  • des « tops » (top 100, livres primés, meilleurs livres de l’année…),
  • des thématiques populaires (cuisine, santé, maison et jardin…),
  • des coups de cœur personnalisés (les sélections des bibliothécaires Fadzilah, Jo, Judi et Bron, etc.),
  • des catégories fourre-tout (« intéressant », « inspirant », « les livres qui font parler »).

Les 34 catégories mises en place dans les marketplaces d’Ipswich. Les barres bleues représentent le nombre de documents moyen en rayon et les barres oranges le nombre de document moyen en prêt. Les catégories les plus populaires sont les nouveautés, les sélections de thrillers, les coups de coeur des bibliothécaires Michelle, Judy et Bron.

Pour conclure…

Revenons au concept de bibliothèque tripartie.

Les alcôves thématiques et les marketplaces sont des stratégies d’aménagement, d’implantation, de mise en scène et de valorisation des collections dans lesquelles on reconnait la philosophie d’Emunds :

  • Les alcôves thématique consistent à déployer à petite échelle les 3 zones tripartites.
  • Les marketplaces sont des applications concrètes du concept de zone proximale qui permettent de rendre ce concept moins nébuleux.

Dans ces deux exemples, on s’efforce de créer des espaces de collections adaptés à des usages différents et à des profils d’usagers différents. L’objectif est notamment de mieux prendre en compte les besoins des butineurs qui sont majoritaires dans les bibliothèques grand public.

… Et ça marche !

Dans les établissements où elles sont implantées, ces zones sont non seulement appréciées du public mais elles ont également des taux de rotation bien supérieurs à la moyenne.

Et vous ? Que pensez-vous de ces espaces ? Ai-je réussi à vous convaincre de leur utilité ? Auraient-ils une place dans vos bibliothèques ?

3 Commentaires

  1. BOUKRIS

    Bonjour,

    Article très intéressant et richement illustré de photos qui expliquent ce concept de bibliothèque tripartite.
    Les notions d' »alcôves thématiques » ou de « marketplaces » restent pour l’instant marginales encore en BM ou en BU mais renvoient nettement à une stratégie commerciale quand on fait référence à des centres commerciaux ou à des librairies commerciales.
    Les bibliothèques nordiques sont en avance sur la France dans le choix du mobilier (alvéoles d’abeilles, présentoirs), dans le fait de mettre en avant la lumière et les espaces mais aussi en incluant beaucoup de couleurs.

    Réponse
  2. MxSz

    Bonjour Nicolas.

    Merci pour cette synthèse complète, richement illustrée et sourcée… très agréable à lire.
    Une remarque concernant la répartition tripartite proposée par Heinz Emunds. Elle a été pensée et conçue pour les BM. Or, en bibliothèque universitaire, les usages me semblent différents : les étudiantes viennent avant tout pour trouver des espaces de travail ; l’usage des collections est plutôt faible ou, en tout cas, ne constitue pas l’intérêt premier d’une visite longue (travaille en groupe avec des amies) ou courte (attendre une demi-heure avant un cours).

    Nous réfléchissons plutôt à Angers à une tripartition entre usages « chauds », « tièdes » et « froids » – ce qui est proche du modèle allemand et, en même temps, s’en distingue car la notion de plaisir (de la flânerie, du butinage en rayon) est plutôt minoritaire, voire inexistante (j’ai en tête cet étudiant de médecine qui m’avait dit, en substance : la BU, j’y viens tous les jours, c’est ma deuxième maison, mais quand j’aurais terminé mes études, je n’y mettrai, si je reste à Angers, *plus jamais les pieds* = le lieu est associé au travail, au labeur, au bachotage…).

    Les usages sont utilitaires : le chaud pour les cours, les programmes, les concours (capes, IAE-SCORE, Toeic notamment) ; le tiède pour des ouvrages conseillés en bibliographie, mais qui ne seront utilisés que si et seulement si les étudiantes ont un exposé ou un mémoire à faire ; le froid pour la préparation d’un cours, une thèse, un mémoire.

    Une deuxième remarque concernant la bibliothèque d’Herning. J’ai pu constater à quel point ce modèle était courant au Danemark : des espaces sympas et cosy, et des magasins en libre accès. C’est le cas à la DTU de Copenhague, à la BM de Roskilde… Ces magasins m’ont semblé peu fréquentés, peu accueillants, peu attrayants pour tout dire ; un peu comme des espaces pensés par défaut, pour se donner bonne conscience (voyez comme les livres sont nombreux dans notre bibliothèque : 450000, c’est *vraiment* beaucoup) mais sans être dupe (ils sont certainement voués à disparaître). C’est en tout cas l’impression que m’a donné la BU de sciences sociales de l’université de Copenhague ( https://kub.ku.dk/english/libraries/samf/) : ces fameux magasins, absolument pas pensés pour les personnes à mobilité réduite qui plus est, m’ont semblé vraiment sinistres, avec des collections obsolètes, un peu laissées à l’abandon. Mais c’est un sentiment très subjectif.

    Une troisième remarque : et si, justement, en BU, les ebooks avaient vocation à remplacer les collections papier « froides » et « tièdes » ? Nous sentons depuis les confinements que les usages et les perspectives commencent à bouger. Comment faire le merchandising de ces titres-là ? Nous nous y essayons avec plus ou moins de succès, mais cela reste là encore des usages minoritaires.

    Réponse
  3. Elisa Dersoir

    Merci pour cet article qui rejoint le travail que nous réalisons dans notre BM depuis plusieurs années (sans la terminologie technique que je découvre dans votre article, mais avec le succès auprès du public que vous évoquez). L’animation des collections qui en résulte et les retours des adhérents permettent vraiment une médiation culturelle et pas simplement une démarche de consommation bien au contraire. Que faire maintenant pour que ce principe d’organisation soit largement adoptée par les médiathèques (nouvelles et anciennes) ?

    Réponse

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