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Le Recueil Factice
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Réinventer la médiathèque de Landerneau : entretien avec Hélène Fouéré

Nicolas Beudon
Ce billet prolonge le précédent, consacré au réaménagement de la médiathèque de Landerneau. Pour poursuivre et clore la présentation de ce projet, j’ai recueilli le témoignage d’Hélène Fouéré, directrice de la médiathèque, qui revient sur les grandes étapes du chantier, les choix opérés et les enseignements tirés de cette transformation.

Hélène, pouvez-vous vous présenter en quelques mots, ainsi que votre établissement, la médiathèque Per Jakez Elias ?

Je suis bibliothécaire depuis 20 ans et responsable de la médiathèque de Landerneau depuis 2011. Je suis également formatrice, sur le dispositif Facile à lire et sur l’accueil des personnes dyslexiques en bibliothèque. J’ai créé une association baptisée Li(b)re avec d’autres professionnel·le·s du livre, dont l’objectif est d’éditer une collection facile à lire destinée aux adultes débutants en lecture.

La médiathèque a ouvert en 2002. Elle était conçue à l’origine comme une bibliothèque d’étude, avec une grande place donnée aux collections et au travail, au silence. Les personnes qui fréquentent le lieu aujourd’hui peuvent venir pour emprunter un livre, passer du temps, télétravailler, voir du monde, boire un café, écouter de la musique, jouer, lire le journal, étudier, se cultiver, attendre un rendez-vous, faire des devoirs… et encore bien d’autres occupations.

La médiathèque avant son réaménagement.

Pour accueillir tous ces nouveaux usages, les espaces ont-ils évolué au cours du temps?

En 2012, pour ses 10 ans, la médiathèque a connu un premier réaménagement en conservant le mobilier existant. À cette occasion, les automates RFID ont été intégrés, ce qui a permis de libérer du temps pour la médiation. La cohabitation des différents publics a également été repensée, avec des zones chaudes et des zones froides. La médiathèque a ainsi évolué vers un lieu de vie intégrant de nombreuses animations.

Malgré une dynamique forte et une bonne fréquentation, au fur et à mesure des différentes évolutions et expérimentations, la médiathèque avait perdu en lisibilité et le mobilier était vieillissant.

Qu’est-ce qui a déclenché l’envie d’un réaménagement plus ambitieux ?

La période du covid et la baisse de fréquentation inhérente m’a poussée avec mon équipe à réfléchir à la valorisation des collections. Le classement des documentaires a été revu en passant à un classement thématique, mais le mobilier daté ne permettait pas d’aller au bout de la logique.

Aux 20 ans de la médiathèque en 2022, le projet de réaménagement a été proposé à l’équipe municipale qui a compris l’intérêt de moderniser cet équipement de proximité très ancré dans son territoire (un territoire avec un dynamisme culturel certain).

Crédit : Ville de Landerneau, © Krank Du.

Pourquoi avoir sollicité Chemins faisants ? 

Je suis lectrice du blog de Nicolas Beudon depuis longtemps. Son approche innovante du métier et sa connaissance des bibliothèques à l’étranger sont très inspirantes.

Fin 2021, j’ai suivi au CFCB Bretagne-Pays de la Loire une formation de 2 jours avec Nicolas sur le merchandising. Alors que je cherchais à donner un second souffle à la médiathèque, la formation m’a permis d’avoir une vision plus claire de ce qui était possible : les valorisations, l’idée du marketplace, les ambiances, etc., tout ça faisait écho.

J’ai ensuite montré à mon équipe, aux élus, et à ma direction des exemples issus de cette formation et nous avons pu commencer à nous projeter vers un projet de réaménagement. C’était une évidence de faire appel à Chemins faisants pour nous accompagner.

La charte graphique et la signalétique ont été conçus par Pirate l’atelier graphique. Cette prestation ne faisait pas partie du projet initial, comment s’est-elle imposée ?

La médiathèque avait besoin d’une nouvelle identité visuelle. On avait d’abord restreint ce projet à une question de logo et d’éléments de communication : carte d’abonné, guide, etc. mais dans la phase de diagnostic, la question de la signalétique est vite apparue comme un point à améliorer.

Comment concevoir un projet de réaménagement et une nouvelle identité visuelle sans les penser comme un tout ? C’est souvent un point que nous négligeons en bibliothèque. La signalétique est fréquemment limitée à une information à transmettre. Or, elle participe pleinement à l’image et à l’aménagement du lieu. Elle doit à la fois être lisible, visible, identifiable, et s’harmoniser dans l’espace. Dans notre cas, Pirate a dû intégrer en plus une double commande : le bilinguisme français-breton et la question de l’accessibilité des publics dys.

Un exemple du travail de Sarah El karmiti (Pirate) : l’habillage mural de la zone enfants.

Comment s’est déroulée la phase de diagnostic que vous venez de citer ?

Pour réfléchir au meilleur scénario de réaménagement, une phase d’observations, d’entretiens et d’analyse des statistiques a été nécessaire. La consultation des différents partenaires portée par Chemins faisants a été particulièrement enrichissante. Toutes les personnes utilisant la médiathèque ont été sondées : l’équipe, les acteurs culturels, scolaires, petite enfance, grand âge, les acteurs sociaux, la commission culture, les participants au café des lecteurs…

Chacun a pu se livrer librement. En complément, des phases d’observation ont permis de repérer les différents usages, les atouts, les manques éventuels, les espaces fréquentés, non-fréquentés… Nous avions déjà réalisé un pré-diagnostic en recueillant, via un questionnaire, les attentes des usagers mais un regard extérieur est indispensable pour aller plus loin dans l’analyse.

Les observations de Chemins faisants ont-elles conforté votre propre diagnostic ?

Tout à fait. Ils ont surtout permis d’aller plus loin, notamment dans l’analyse des collections. Le diagnostic a mis en évidence les déséquilibres de l’offre documentaire, à la fois dans les volumes et les espaces, au regard des usages. Quelques exemples : les enfants fréquentaient majoritairement le lieu mais les collections jeunesse n’occupaient qu’une petite partie de l’espace. D’autres collections, comme les documentaires ou les CD, occupaient une place importante, mais étaient peu empruntées.

Le diagnostic nous a évidemment servi de base de travail pour le nouveau PCSES. Au-delà des espaces, c’est l’ensemble du fonctionnement de la médiathèque qui a été redéfini et harmonisé : politique documentaire, médiation, accueil du public, communication, partenariats…

Crédit : Ville de Landerneau, © Krank Du.

Vous attachez une attention particulière aux enjeux d’accessibilité, comment ce sujet a-t-il été traité dans le projet ?

Nous travaillons au quotidien pour faire de ces questions d’accessibilité un marqueur fort de la médiathèque. Les publics éloignés de la lecture et/ou dyslexiques font pleinement partie du public de l’établissement et nous proposons depuis 2014 un espace Facile à lire. Un effort important a également porté sur les publics jeunesse en apprentissage de la lecture. C’est pour cela qu’en 2018 nous avons créé un espace Biblio dys dédié aux enfants et jeunes dyslexiques.

Ce que j’ai particulièrement apprécié dans le projet de réaménagement, c’est que ces services ont été traités comme tous les autres. Les espaces Facile à lire et Biblio dys font pleinement partie de l’ADN de la médiathèque, tout comme les espaces BD ou romans. Au-delà de cette approche inclusive et volontariste, il nous a aussi semblé important de privilégier pour ces espaces des mobiliers avec une identité forte et une belle esthétique.

Crédit : Ville de Landerneau, © Krank Du.

Dans un projet de réaménagement, même en étant accompagné, il y a une multitude de tâches réalisées par les bibliothécaires eux-mêmes. Pouvez-vous dire quelques mots sur ce versant interne du projet ?

Quand on évoque un réaménagement, certains s’imaginent qu’il ne s’agit que de décoration. Or, même si celle-ci a une place importante, cela ne se réduit pas à ça et loin de là. Réaménager, c’est aussi s’interroger, faire des choix, et réfléchir à l’implantation des collections dans l’espace.

Où disposer les collections pour répondre aux objectifs fixés dans le programme ? Comment mettre en valeur ces collections et les rendre le plus accessibles possible ? Ce travail de fourmi est complètement invisible des usagers. Pour chaque collection, nous avons défini des quantités et fait des choix d’acquisition. Un projet de réaménagement est donc un excellent moyen de requestionner l’ensemble du fonds.

Certains sujets sont plus délicats que d’autres. Que faire des CD qui ne sont quasiment plus empruntés ? Comment faire vivre la musique dans la médiathèque ? Comment améliorer notre plan de classement pour faciliter la recherche ? Quels genres choisissons-nous pour les romans ? Où mettre la new romance ? En young adults ou au rayon romance?

Tous ces choix entrainent des questions de cotation, d’étiquettes, d’identifiant, puis de catalogage, dans le seul et unique but de faciliter le parcours de l’abonné. Le réaménagement se pense donc en fonction des usages et des collections.

Il y a aussi tout un volet très pratique, voire logistique…

En effet, un autre chantier, et pas des moindres, consiste à organiser le déménagement des collections et le retrait du mobilier existant. À l’heure du développement durable, il est inconcevable de ne pas chercher des solutions de réemploi et la totalité de l’ancien mobilier a été réemployé par d’autres structures. 

C’est un aspect qui doit être bien anticipé pour prendre en compte les démarches administratives liées au retrait de l’inventaire, en plus des contacts à prendre et de la répartition des différents éléments auprès des associations, écoles, recycleries…

Photo : H. Fouéré.

Pour le mobilier de prêt-retour, vous avez choisi de collaborer avec le lycée de l’Elorn, pouvez-vous expliquer cette démarche ?

À Landerneau, nous avons la chance d’avoir une filière bois au lycée polyvalent de l’Elorn qui travaille régulièrement en partenariat avec la ville. Dès le démarrage du projet, le comité de pilotage a proposé à l’équipe pédagogique de réaliser un meuble. Cette proposition a été accueillie avec enthousiasme. À la fin d’année 2023, plusieurs pistes ont été présentées aux étudiants du BTS DRB (Développement et Réalisation Bois). Le meuble accueillant les automates de prêts et de retours a été choisi. Il s’agit d’un meuble stratégique, visible dès l’entrée et très utilisé.

À la rentrée 2024, après avoir travaillé sur le plan proposé par Chemins faisants, les coupes et les matériaux, les étudiants en 1ère année de BTS (début 2024) ont démarré la fabrication puis ils ont finalisé le montage et livré l’ensemble des éléments en janvier 2025, avant la réouverture. Les étudiants et leurs enseignants étaient très fiers d’avoir participé à ce projet.

Crédit : Ville de Landerneau.

Au cours du projet, y a-t-il des moments qui vous ont semblé difficiles, soit parce qu’ils représentaient beaucoup de travail, soit parce qu’ils sortaient de votre zone de confort ? À l’inverse, quels ont été les aspects les plus enthousiasmants ?

L’ensemble du projet a été particulièrement enthousiasmant. Il représente évidemment beaucoup de travail et exige une bonne dose d’énergie.

Comme tout projet conduisant à des changements, il a fallu beaucoup échanger avec l’équipe et le public, rassurer, anticiper, organiser. Quand on baigne dans un projet pendant des mois, il ne faut pas perdre de vue que les collègues n’ont pas la vision complète du projet et ont besoin régulièrement de se projeter. La communication, les échanges et la prise de décision sont indispensables.

Les phases les plus stimulantes correspondent pour moi au démarrage du projet où tout est possible. Il est particulièrement intéressant d’utiliser le lieu et de se demander comment il fonctionnera ensuite, en regardant la façon dont les publics l’utilisent.

La phase opérationnelle est elle aussi très intéressante car le chantier démarre, les différents intervenants se succèdent et les mobiliers arrivent. Il faut pouvoir apporter des réponses concrètes et précises, comprendre les contraintes des uns et des autres, trouver les meilleures solutions. Et le projet prend forme !

Enfin, comment ne pas parler de la réouverture au public et de l’effet « waouh ! » ? quelle satisfaction de voir les publics s’approprier les espaces !

La médiathèque a rouvert en février. Avec ce recul, quel est le gain principal apporté par le réaménagement ?

Le réaménagement a permis au public de venir passer plus de temps à la médiathèque. Il ne s’agit plus seulement d’emprunter des collections et de repartir. Ils viennent pour passer un moment, vivre une expérience. La fréquentation s’en ressent.

Chaque espace propose une ambiance différente, et les publics s’y mélangent de façon très naturelle. J’apprécie particulièrement l’interconnexion entre les différents espaces et les publics. De façon générale, le lieu semble plus aéré, les publics (re)découvrent des collections, la mise en place des valorisations est facilitée, l’accueil est plus dynamique et pro-actif.

Il est difficile de retenir un détail unique. C’est l’ensemble du projet et le fait d’avoir réussi à embarquer tous les acteurs : collègues, élus, services de la ville, partenaires, publics qui me satisfont le plus.

Crédit : Ville de Landerneau, © Krank Du.

Pour finir, quel conseil donneriez-vous à un·e professionnel·le s’engageant dans un projet semblable ?

Le conseil que je donnerais est de ne pas hésiter à détailler au maximum son besoin, à chercher précisément ce qu’on souhaite pour nos espaces. Les bibliothécaires ont tout intérêt à s’impliquer beaucoup, à avoir des demandes précises, et à faire confiance à leur analyse.

Il est aussi nécessaire de bien définir les « règles du jeu » dès le départ, notamment sur les prises de décision, les échanges nécessaires, les points à avancer.

Je conseillerais aussi de s’investir dans le suivi du chantier, des travaux, et le suivi des différentes livraisons. La médiathèque doit y être représentée.

Enfin, et comme dans tout projet que je porte, j’ai tendance à dire qu’il ne faut jamais brider la créativité et l’imagination. Au départ, tout est possible, et ça c’est génial, c’est seulement après qu’on ajuste avec les réalités du terrain.

Merci Hélène et félicitations !

Crédit : Ville de Landerneau.

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